Du vent dans les pantoufles
Papouilles (4)
8 Nov 2018

Papouilles (4)

Post by Emile

Je sors parfois une chaise sur le perron. Il est étroit, c’est plus un trottoir qu’un perron d’ailleurs. Le dernier maçon à avoir vu ce béton liquide y a inscrit la date. Elle n’est pas si ancienne, mais le perron fait vieux, ou le trottoir, c’est le béton qui veut ça. Sortir sa chaise devant sa maison pour s’y assoir, simplement, prendre le soleil et regarder passer les chats quand les voitures manquent à l’appel et que les gens des environs ont déjà tous jeté leur verre dans la benne proche. Ça fait vieux aussi. Je m’en accommode comme d’un ciel bleu en novembre. Je sors ma chaise et je m’assois, torse nu quand il fait très beau, quand l’heure est propice. Après 15h le soleil passe derrière la ligne des montagnes. L’ombre engloutit la vallée à la vitesse d’un cheval qui ne se presse pas, bien que les nuages le cravachent parfois, car il connaît la route. C’est une ombre docile, de centre équestre. Elle n’a peut-être même pas encore remarqué qu’une petite ville blanche avait poussé au creux de sa vallée. Les températures baissent imperceptiblement puis de plus en plus perceptiblement à mesure que la brise rafraichissante se fait franchement fraîche, puis froide. Alors ce qui n’était que perceptible devient sûr, on crée de belles idées ainsi. Inutile de sortir la chaise à cette heure. Il faut rentrer, ou marcher un brin, passer par la rue Diomède et prendre à droite vers l’église. Le soleil s’y repose là-bas encore un instant. Pour ne rien perdre du panorama, de la vue où foisonnent le vert pâle des oliviers ; le cimetière, plus bas, dont la seule grande porte blanche dépasse ; et la mer, définitivement bleue, encore plus bas, deux bancs ont été installés là, au pied d’un olivier. Ici, on ne peut pas faire autrement, on s’assoit toujours au pied d’un olivier. C’est à croire qu’après plusieurs générations, les noyaux saturent la terre. Les oliviers qui poussent au milieu de la route, les agents de la voirie les coupent. Il en va de même pour ceux qui s’accrochent aux débris de graviers dans les caniveaux et tentent d’y trouver un peu de terre. Au bout d’un moment, ils poussent directement en forme de bancs, sans passer par le chapitre bois. Les vieux qui vivent en bas, au milieu des troncs brun pâle, tordus, comme si l’arbre pour mieux durer s’arc-boutait sur le temps même, et qui s’essoufflent à monter la colline, s’asseyent un temps avant la messe. Ces vieux soupent de l’olive, noient l’aubergine, la tomate et le poisson dans son huile. Si leur pain est si fade, c’est pour mieux rendre la fleur du fruit, son amertume grasse. Ils sont faits du même bois, tordus eux-aussi, arc-boutés sur leur canne de noyer tarabiscoté. Leurs pores sont trop secs pour suer dans la côte de l’église, mais il flotte malgré tout derrière eux une saveur épicée, l’amertume d’un fruit ; c’est leur vieillesse qui n’en finit pas de murir. Sur ces deux bancs d’où l’on peut surveiller le parvis de l’église tout en respirant la mer, il fait bon tricoter. Les voitures sont rares dans notre dos. On ne regarde pas forcément le paysage ; les oliviers ; le cimetière qui se tapit ou disparaît bien malgré lui ; et la mer, si bleue, immense, qui termine l’horizon comme un travail fastidieux que personne à part elle n’a le courage d’entreprendre, mais il fait bon d’être là, de voir l’ombre s’approcher aussi lentement et sûrement qu’une vieille génisse de réforme dans les pâtures normandes. C’est que tout est plat, pour l’ombre. On passe maille après maille, assurant tranquillement d’une main, puis l’autre, que l’ouvrage coulisse, concentré sans l’être, au bel-vedere (beau-voir) sans vraiment regarder.

La dernière fois que je me suis installé sur ma chaise, au soleil, sur mon béton de trottoir de perron, j’ai à peine eu le temps de calculer ce que j’allais gagner en vitamine D qu’un amas plumeux s’est abattu sur la route à trois mètres de moi. Un faucon se tenait bien droit, me regardant les yeux dans les yeux. Il enfonçait négligemment ses pattes dans le dos d’un pigeon qu’il avait attrapé au vol alors que celui-ci pensait s’échapper du murier de la terrasse. On ne s’échappe pas comme ça du murier de la terrasse. Combien d’enfants avant lui se sont empalés sur nos grilles ? Le faucon n’avait eu qu’à se laisser tomber de tout son poids sur la bedaine gris-bleu qui frappait désormais le bitume avec une certaine mollesse cérébrale, comme les poules qui continuent à pédaler dans le vide après qu’on les ait prises. Le faucon m’a regardé une seconde qui en parut trois, et s’envola de son côté. Le pigeon ne demanda pas son reste et partit dans l’autre sens comme s’il ne s’était rien passé. Il n’y a que les vieux assis sur leurs chaises sur leur perron qui voient ce genre de chose.

Plus bas, dans la pente, les chèvres fouillent le recoin des racines à la recherche d’un brin d’herbe ou d’épine. Leurs clochettes tintent à intervalles régulier. Presque inaudibles dans le bruit du jour, elles visitent mes nuits et envahissent virtuellement le salon, appâtées par les rideaux ou ces tableaux si laids.

Je ferme à double tour.

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Un commentaire

Pascale F 12 novembre 2018 at 6 h 59 min - Reply

Toujours aussi beau. Au fur et à mesure de la lecture un magnifique tableau se dessine.
J’adore.

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