Du vent dans les pantoufles
Papouilles (2)
21 Sep 2018

Papouilles (2)

Post by Emile

J’écris sur de petits papiers. De petits carrés de couleur différente, comme des post-it, mais dénués de la moindre languette de colle. La colle est loin, originelle. Elle tient le bloc d’un seul tenant comme la pâte d’un mauvais gène. Ils s’en détachent aisément, sans cicatrice ou presque.

Il y en a des bleus des jaunes des verts des blancs et des rouges. On pourrait en faire des drapeaux, des fanions. Y dessiner des bandes en stop motion et d’un doigt glissant, leur faire prendre leur revanche d’immobiles sur le temps continu. On pourrait créer de petits cygnes d’origami, mettre un fond d’eau dans notre plus grande casserole, et les regarder barboter en silence.

Sur la plage, le rouge des drapeaux italiens s’est décoloré au soleil. Le rouge plus que les autres. Les taureaux espagnols, si noirs, luisants, si friands du soleil, ont peut-être, à force, déteint sur lui. Il se délecte du rouge en premier, vilain gourmand, et morigène les porcs dont l’aine de Limoges demeure désespérément blanche, gros galets pâles.

Il fait si chaud sur ces plages irlandaises.

Chaque soir des pêcheurs viennent déplier leur petit trépied cintré de toile. Ils s’y affalent la canne à peine montée, pressés d’attendre. Chacun laisse à l’autre quelques mètres. Il faut pouvoir discuter sans empiéter, tromper l’attente sans se leurrer ici sur la présence de chacun.

Quelques touches perdues, et l’un se lève « Oh, dites ! On peut pêcher tranquillement ici ? »

« Parce que tu viens pour pêcher, toi ? » lui répond un autre, goguenard, avant de reprendre sa conversation à peine moins fort. S’il s’essoufflait sur le précédent, le nouveau sujet est tout trouvé.

A 18 heures, la plage est quasiment déserte. Les baigneurs, assis par couple, se donnent au moins 30 mètres de part et d’autres. A force, on reconnaît les habitués. Gigi et Gino, les deux vieux qui passent leur temps à se montrer des trucs sur leur téléphone nous jettent un coup d’œil de temps à autres. Gigi nous sourit, la belle jeunesse. Eux restent sur la plage. Nous déboulons de notre marche d’approche, les vêtements volent, on plonge.

La plage tombe à pic. Ou bien la mer l’avale comme une grosse gourmande. Les éléments sont rabelaisiens ici, prennent les poulardes à pleines poignées, les galets ronds, impropres aux ricochets, et les font ruisseler jusqu’au fond, où malgré la transparence de l’eau par temps calme, le soleil ne viendra pas les faire rouler en d’autres glottes, en faire les gorges chaudes d’autres langues rocailleuses, d’autres contrées galloises.

Dans ce désert de galets profondément enfouis sous l’eau plate, de pêcheurs tout à leurs bavardages et de rares vieux qui nous zieutent, on fait la planche. Les mouettes se font discrètes, comme des bouées jaunes lointaines. Une barque flotte et titille l’horizon. Les vagues à grand peine la ballottent, c’est que ces dunes sont minuscules et nous chatouillent en passant. La mer c’est dégueulasse, la langueur du jour nous étreint et s’y rince, et s’ils nous voient, bons princes, les poissons pissent dedans.

 

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Un commentaire

Mam 21 septembre 2018 at 20 h 22 min - Reply

Comme j’aimerais flotter avec vous… Court mais beau comme toujours !

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