Du vent dans les pantoufles
Papouilles (1)
10 Sep 2018

Papouilles (1)

Post by Emile

Je me suis assis dans l’eau pour lire. Dehors, les moustiques s’éveillent. L’Adriatique est calme. La crique enfoncée en apaise les vagues. Entre deux lignes rocheuses, creusées par l’eau qui en y butant fait un bruit de tambour, la plage s’évente en l’eau, en pente douce, en sable fin. Deux enfants d’une dizaine d’années jouent sur les épaules de leur grand-père et projettent vers les baigneurs indolents, des éclaboussures de voix criardes dans l’apaisement rasant des lumières du soir. Le garçon, plutôt sec, affiche les marques de son excitation. Il porte, aux gencives, trois béances en guise d’avertissement. La fille n’est pas moins vive, mais se préserve du monde par un copieux embonpoint.

D’un de leur géniteur, ils assaillent le père. La vengeance est sans fondement, mais non moins terrible. Ils lui écrasent les parties, le chevauchent, lui griffent les cuisses, les bras, le crâne qui se fait glabre, se propulsent du plongeoir, s’agrippent, lui crient « Encore » dans les oreilles, quelques fois, seulement, avec la parcimonie qu’on leur imagine, et s’étonnent à la fin, que la victime abandonne, batte en retraite, et cède, sans originalité à cette habitude abrutissante qu’ont les adultes, de s’allonger paisiblement sur leur serviette et faire semblant de dormir. Le grand-père n’a pas eu tôt fait de sortir de l’eau qu’un nouveau jeu, l’excluant, ce lâche, est décidé par l’une des allumettes. Désormais, ils entreront et ressortiront de l’eau en mimant des démarrages d’athlètes. Le concept d’éclaboussure leur semble aussi éloigné que celui de livre. Je ne tente même pas de souligner l’éventuel rapprochement et prend mes distances. Un vieil italien vient me parler et complimente mon bronzage. Un point pour moi. Je lui réponds en reprenant les vieilles recettes de mots que Chloé sort depuis deux semaines aux siens.

Aujourd’hui on a visité Monopoli.

La vieille ville se dessine sur la carte comme une excroissance désordonnée, une peluche de rues nouées. Elle déborde sur la mer, quand les rues perpendiculaires et les hauts bâtiments droits de la ville nouvelle, eux la longent, propres sur eux comme le dimanche des notables paradent en cachant leurs infections de la semaine.

Dans ces petites rues de maisons blanches, parfois empilées les unes sur les autres, parfois hautes, reliées d’arches qui s’élancent comme des piliers ou des ponts qui n’auraient rien à soutenir et se limiteraient à retenir l’enclin des maisons de tomber les unes sur les autres, l’inclinaison des maisons à faire comme la mer, comme les rochers près de la mer, le désir des crépis à s’absoudre en récifs blancs, éclatants au soleil, à devenir un désert aride, de roche et de peinture naturelle, le blanc comme essence de roches écorchées écarlates, les arches les retiennent, les maisons restent en place, la vie sieste. Dans ces petites rues de maisons blanches, une petite église de pierre blanche, effritée par le temps. On la soupçonne de dater du treizième. Un panneau vu à la dérobée nous fait nous corriger, on a vu jeune. Elle doit être du onzième. Son frontispice, comme par esprit de contradiction, rétablit la vérité, coupe l’histoire en deux, elle s’affiche du douzième, et donne à voir, par endroit, la sobriété de ses plus beaux bijoux, des pierres brisées que personne n’oseraient restaurer. L’église est simple, Chloé s’engouffre dans la nef. Elle aime ces églises sobres, épurées.

Au fond, trône une croix de bois à l’échelle d’une robe humaine. On y monte en flottant un peu pour s’y pendre soi-même. La foule applaudit. Les scénographies inventives, qui étrillent le spectaculaire, gagnent dans le cœur des simples, l’à-propos invincible de ce qui est économe, et s’attribue aux côtés de la nécessité, cette auréole de loi, de foi, de vérité.

Les rangées de bois se pressent dans l’ombre de trop rares vitraux, sans l’ombre de trop rares badauds. A l’entrée, un couple d’américains lit religieusement un panonceau touristique. Une dame apparaît, telle Quasimodo, elle s’est fondue hors des murs. Elle traverse l’église par le côté et s’approche de nous, le pas claudiquant, la gueule mal aimable. C’est toute la maison de Dieu qui, reposant au-dessus de sa tête, l’invite envers sa nature à nous faire bon accueil. A droite, près de l’entrée, un escalier descend. Un écriteau : « Crypte ». Elle nous montre le portillon en réprimant un sourire et nous invite à descendre. En bas, la pierre est creusée en caveaux personnels, recouverte par endroits d’une moisissure acceptable. Les corps sont partis et pour soc dans leur fuite ont laissé dans leurs socles quelques traces.

Une stèle explique très sérieusement qu’un groupe de marins en l’an 1059, a prié dame Marie à l’orée d’un naufrage. Lorsque la mer s’est apaisée et qu’encore vivants ils ont pu débarquer, le pied malade, non du roulis mais de s’être cru perdus, le pied incertain, frappant fort d’une semelle la roche dure du rivage, la terre, étonnés de n’être encore pas spectres, suspicieux de ne pas se voir traverser la matière, ils ont chuté au sol, tous croyants, fiévreusement, ou plus tard, dans l’intimité des solitudes, secrètement, timides d’être trop pieux, et réunis décidèrent d’ériger une chapelle en merci d’une mer calme.

L’église gisait dessus. On a dû, pour sa construction, abattre les pierres branlantes de la première chapelle. Le tailleur, souriant sûrement avec complaisance, du travail primitif des marins.

Un grain venu du large nous surprend au soleil. Les touristes et les locaux se réfugient unanimement sous les arcades des mêmes porches. De vieux marins fument un clopiot du bout de leur casquette auprès de visiteurs en bermudas colorés. Entre eux, comme une maille trop souple, des grappes de collégiens inhalent le tout, exaltés, bousculant leurs camarades d’une voix juvénile et primesautière résonnant sur les murs de ce théâtre improvisé. Entre deux saucées, on visite l’épicerie à la recherche d’un petit-déjeuner ; un litre de lait et des biscuits au chocolat sans huile de palme. Entre deux clients, le gérant file chercher dans l’arrière-boutique un lot de parapluies qu’il accroche sur la porte d’entrée. L’opportunisme ne durera pas. La ville reçoit ici sa première et dernière pluie. On hésite à sortir en plein bouillon. Quelle importance puisque nous serons secs en un instant ? Le soleil est à deux pas, c’est une averse sans nuages. On n’y croit pas assez fort. Les murs ici sont trop blancs, les linges trop voyants, les terrasses et les cafés. Cette portion d’Italie vit dehors. Il pleut la nuit et personne ne le remarque, ou par inadvertance, sans le dire à personne surtout, comme quand on oublie de fermer la vitre de sa voiture et que l’eau flingue tout le système de la portière. Il pleut, parfois, certainement, puisqu’il le faut, mais personne n’en parle. C’est un secret de Polichinelle.

Sous les porches, tout le monde regarde le bout de sa chaussure, s’étonnant presque, ne voyant pas la flaque, de le trouver mouillé.

Mais aujourd’hui, tout le monde le voit, tout le monde s’en aperçoit. Il faut bien se rendre à l’évidence devant toute cette eau qui tombe du ciel. Il y en a trop pour un seul seau jeté du dernier des étages.

On petit déjeune sous un porche personnel. Les gâteaux sont bons. Le lait n’a rien d’exceptionnel. Face à nous la Basilique Maria Santissima della Madia. D’après le nom, imaginez-donc un peu comme elle est belle ! Un mariage s’officie à l’intérieur. On n’en aurait rien su si, devant la porte, un monsieur en costume bleu nuit ne s’était pas trouvé encadré par deux colonnes de ballons laiteux surmontées d’un cœur. L’un des deux se défie d’être plus léger que l’air et tombe misérablement sur le côté. Le tapis rouge, sous la pluie fait des plis. Au bas des marches, il y a une BMW qui ressemble à un yacht. D’où on est, on ne peut voir qu’un seul pot d’échappement, mais j’estime, docte, que ce serait du gâchis si l’on ne l’en avait pas au moins doté d’un autre. Elle semble tout juste sortie de l’usine. La carrosserie grise est immaculée, de bonne augure pour le mariage.

Faible mais constante, la pluie la picore sous le regard dépité du bonhomme à la colonne qui porte un peu à gauche, mais l’on ne saurait dire avec certitude à cette distance. La voiture est à lui, c’est certain, ou à son patron. Les mariés ont dû la louer. C’est un ami de la famille. Un copain un peu riche. Ils se sont rabattus sur la BM parce que la formule Ferrari/mariage éclair par un survol de l’église en hélicoptère et sacrifices humains au Dieu de la mer n’était pas disponible. Tout en déjeunant, je m’étonne de les savoir – les mariés – s’apprêter ainsi, venir faire d’un seul jour le point d’orgueil d’une vie, tenter, sans réellement y penser, de chuchoter à l’esprit du sort, disposer les éléments, les offrandes, la météo et les oiseaux, comme autant de cartes d’une réussite jouée à deux, dont l’issue déterminerait le pouvoir et l’argent, le bonheur et l’opulence. Il y a dans cette représentation l’idée que l’univers a une mémoire. Qu’une empreinte suffisamment forte le disposera à notre élévation. Que nous serions, en potentiel, à tout moment, aussi puissants que ce que nous sommes parvenus à développer en un instant.

Ce qui ne sera qu’une grosse chignole dans 20 ans n’était pourtant pas promise au feu du Potlatch, et n’avait rien d’une dot. Les petits papillons de tulle blanche accrochés derrière les oreilles ne s’envolèrent pas à l’approche du monsieur en complet bleu nuit et de son chiffon de chamois beige. La pluie s’était éloignée à l’insu des grenouilles de bénitiers, lassée d’attendre les mariés, éternels prisonniers des dernières paroles de prêtres scribouillards, trop bavards, payés au mot. L’homme en profitait pour sécher la voiture, aussi consciencieux que superstitieux, il éloignait en de larges mouvements circulaires, l’ondée mauvaise de cette si belle union.

Lorsque l’humide résistait au passage, il était temps. Il se reculait alors de quelques pas, et essorait son linge, bras tendus, emmenant prudemment toute cette pluie récalcitrante à distance de ses souliers vernis, au reflet si charmant, si charmeur dans l’élégance discrète des jantes alu d’une belle auto.

On devinait impatients, la brique de lait presque vide, le splotch splotch des brodequins sur le tapis trempé. Festival en partance où n’assistent que les mouettes.

Un rai de lumière tombait du ciel sur la carrosserie, gonflant la bagnole d’une inutilité d’artefact et laissant, en contre-point, le fronton de la basilique dans l’ajour léger de nuages transparents et dilettantes.

Ce n’était pas une voiture dans laquelle on montait. C’était une œuvre, un conglomérat savant de finesse métallique et caoutchouteuse. Le suppôt d’un savoir, fait, parce qu’on sait faire. C’était un ornement, raffiné et puissant. Une voiture que l’on met là, qu’on amène en lamelles, pour montrer, et dans ce cas, que la bruine même lamine.

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