Du vent dans les pantoufles
Mourir (3)
25 Mar 2018

Mourir (3)

Post by Emile

Je me suis retrouvé dans le cimetière de Valparaiso. Il domine la ville, juste pour que vous voyiez, il y a des dizaines de collines que l’on appelle Cerro, montagne, sans la moindre honte. Des montagnes anglaises assaisonnées de l’aridité de la Mancha.

Les tombes grèvent la pente douce qui dévale vers un précipice, la ville, la mer. Au loin.

On la distingue à l’horizontale, étendue comme toujours, bien plate et calme, entre les persiennes des immeubles. De petits gratte-ciel, sans prétention, sûrement à peine assez haut pour ne serait-ce que le chatouiller. Ils se rabattent sur la mer, occultent le bleu qu’ils peuvent. Les bâtiments colorés sauvent l’oeil qui face au gris laisse dépité fuir une larmiche apostrophe, l’âme bétonnée jusqu’aux larmes, armistice catastrophe entre archi déchus.

Je m’y suis retrouvé car je n’y suis pas allé, je ne m’y suis pas rendu. J’ai monté par hasard trois volées d’escaliers qui ne faisaient qu’une à la fin, croquant dans mon avocat comme dans une pomme en guise de déjeuner, de coupe-la-faim. Elles bordaient, les volées, des immeubles décrépis et semblaient s’enfoncer dans l’ombre à mesure que l’on s’élevait vers la lumière du soleil. C’était un ascenseur pour les bas-fonds. Une version verticale de ces ruelles dans lesquelles on hésite un instant à s’engager, pressentant qu’il pourrait, peut-il ? Y a t-il des indices ? Je ne vois personne. Est-ce que je risque vraiment ? Quelqu’un pourrait-il ? Caché je ne sais où, l’ombre, là, là, ou là par exemple, il n’y a pas de raison. Je suis libre. Il pourrait m’arriver, comme il pourrait aussi ne rien. Ce serait dommage de ne pas, non ? Je suis libre.

Ces escaliers m’attiraient. J’étais sur le trottoir d’une rue en pente bien large. Le trottoir sautait de temps à autres, comme s’il haussait la jambe rapidement, simplifiant sa lente élévation d’un quarteron de marches, prêt à décommoder le premier étourdi venu. Les maisons colorées m’invitaient à suivre, joyeuses, le tracé des bus verts et des marcheurs, dans un sens ou dans l’autre, entraînés pour ou par, selon. Il y avait le bruit de la circulation et l’écho du soleil oppressant sur mon corps suant chauffé au creux de la ville minérale.

Là-haut, la vue devait être belle. Et le vent.

Aux premières marches, mon avocat me tournait l’estomac. Une femme descendait au même moment, jupe de simili-cuir noir et haut en filet. Le silence nous croisa. L’escalier donnait à voir l’intérieur d’immeubles où s’entassaient de petits appartements pour solitaires, singuliers, travailleurs esseulés, dockers peut-être, de longs couloirs donnant sur des portes, comme dans un hôtel. En passant.

Le long de l’escalier, quelques détritus mais pas tant. J’y contribuais à ma mesure, déposant entre les grilles que la vigne courageuse tentait d’ensevelir, ou du moins d’assaillir, ou du moins d’accompagner, les morceaux d’avocat raturés d’incisives. Sur un promontoire de terre, la pente s’offrait un répit et avait installé un fauteuil de cuir brun, défoncé, sûrement frais, délictueux par cette chaleur, dans l’ombre portée par l’enclos d’édifices. Une vieille devait s’y affaler, routinière, à l’issue de l’accomplissement d’un certain nombre de tâches qui, chaque jour, devenaient plus immémorielles que le soleil lui-même.

Au sommet de la dernière marche, en embuscade attendue, le soleil éclatait.

Aucun bandit ne m’a assailli, pas le moindre coupe-gorge ne pépiait la moindre menace, rouge à couler aux lèvres de dents. Ce ne doit pas être l’époque, la saison, à l’automne les greniers sont pleins.

Je suis parvenu en haut des escaliers, ai terminé de jeter mon avocat comme de juste après avoir terminé d’en racler la pelure, et volant au vent, la peau s’est échappée des grilles à travers lesquelles je l’avais lancée. Il faisait bon désormais.

Tournant au coin de la rue, le cou tendu, tentant d’apercevoir d’un pas à l’autre le meilleur promontoire d’où voir le reste, une vieille dame à la robe bourgeoise, sans la moindre trace de fauteuil à l’embonpoint, s’est retournée et m’a rendu mon salut d’un sourire plein d’une considération que je n’attendais pas. Elle venait de jeter un œil à travers des rectangles découpés dans une porte de métal grise. Derrière, on pouvait voir sur le côté de quoi il s’agissait, les quelques cases bien ordonnées d’un funérarium encore jeune.

Les pavés de la rue m’ont mené quelques mètres plus loin entre deux grilles de fer forgé, au partage des eaux. L’une grandiose, d’un fer épais et lourd, dissimulait bien mal de somptueuses colonnes de marbre en guise d’entrée. L’autre, siglée en frontispice, « cimetière des dissidents », laissait voir des tombes menues, protestant sobrement. Porté par le goût des choses simples, je suivais sans hésitation les trois jeunes femmes qui entraient dans le premier.

Ma visite de la ville devait être courte. Quelques heures, tout au plus, à peine de quoi commencer à explorer sa poche. Sans m’y rendre, étonné de m’y trouver, je m’étais directement dirigé vers le cimetière, le mont qui le portait, l’escalier qui y menait. Je pensais être ailleurs, et pourtant j’étais là, à étancher ma soif au robinet d’arrosage dont la molette bleu nuit échancrait l’air des morts d’un glouglou crépitant, rassurant et vivant.

Les stèles étaient blanches d’un bon vieux blanc, grandioses elles aussi, c’était le minimum que l’on pouvait se permettre dans le cimetière catholique n°1. Les tombeaux à la renverse étaient rares, comme les vierges fiancées qui se pâment et les vieux jardiniers. Le cimetière, à l’exception des trois femmes, était vide, ou presque. Accroupie, exception intemporelle de tous les cimetières du monde, la vieille dame qui arrangeait les fleurs des tombes était aussi présente. Elle raclait ce jour-ci un pot de pissenlits, entretenant les racines sûrement pour les rendre cerises ou plus tendres radis sous la ratiche du raidi.

C’était un beau cimetière comme on en trouve dans le nord de la France, avec ses palmiers insolents et ses virginales statues en petite tenue. Un cimetière d’été, comme on fait des piscines découvertes. Où l’on se baigne volontiers.

L’air y souffle pourtant, on s’y sent bercé par le reflet du soleil sur le marbre. Les caveaux de statures irrégulières, à l’instar d’un terrain de jeu, y forment des mottes enveloppantes. L’on s’y promène le pas léger, serein.

Au loin, toujours, la mer et les maisons colorées, comme un cimetière marin, et l’on pardonne au vieil arroseur absent, l’absence de pin parasol.

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Un commentaire

tata nounou 1 avril 2018 at 21 h 07 min - Reply

Coucou Emile ; joyeuses Paques ! des bisous bon voyage !

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