Jour 2 – Quelque part entre Punta Delgada et le Bac vers la Terre de Feu/Cerro Sombrero
Le matin du deuxième jour, je ne me suis pas levé très tôt. J’avais écrit tard dans la nuit, tenté de complaire à mon nouvel élan disciplinaire, de lui apporter la satisfaction d’être tenu, pour un seul jour certes, mais jusque là, d’être tenu, et bien.
Mais vers 2 heures j’avais dû me rendre à l’évidence. Raconter ce premier jour allait me prendre la nuit, et la batterie de mon ordinateur, de mon portable et de mon stylo mises bout à bout n’y auraient pas suffi. Il fallait dormir, récupérer des forces, oublier la discipline dans ce qu’elle a d’aveugle et sourd, et en rabattre un petit peu de cette folie des grandeurs qui m’avait fait pédaler jusqu’à ne plus pouvoir distinguer un lapin d’une brebis.
A 4 heures du matin, dans un élan d’impressionnisme austral, le soleil avait déjà punaisé au ciel ses ailes d’avion en flamme. Les pieds mouillés sur des crottes de lapin séchées, je soupirai de (fausse) aisance. L’un d’entre eux venait de bêler à l’entrée de son terrier, déposant, il me semble, quelques rognures de panse. Nous étions peu ou prou sur la même longueur d’ondes. Courbatu, je rentrais me coucher.
J’avais posé le vélo devant ma tente. Juste devant l’entrée. Si l’une des 5 voitures qui passaient quotidiennement par là s’arrêtait, et qu’un homme en descendait pour embarquer la cabosse, je l’aurais entendu. J’aurais pu sortir, me dégoupiller tel un ressort de grenade, et exploser tout de go, ou en rabattre s’il était armé, et le laisser se servir, protestant bien mollement. J’étais prêt à cela. Au milieu de nulle part. Comme si le risque s’étalait de manière uniforme sur la carte, et que l’on ne pouvait pas, par endroits, par instants, tout bonnement en sortir.
C’est le vrai délire du paranoïaque, d’être toujours branché à toute heure de la journée sur le canal de sa radiosurveillance mentale. D’imaginer des situations, d’en évaluer la probabilité, et de créer des plans pour s’en sortir.
Philipp, l’allemand au grand cœur qui m’a offert ma bicyclette, enfin sa bicyclette, enfin notre bicyclette (histoire que je raconterai plus tard, comme beaucoup d’autres, pour les jours où j’aurai le temps, ou rien à dire, ou, improbable mais possible, imaginons un plan, les deux), n’a pas attaché son vélo durant ses 16 mois de voyage.
C’est une relaxation admirable dont je suis pour le moment incapable.
Même au milieu de la lande, auprès d’une route tout au plus inutilisée, la possibilité d’un vol opportuniste (il y a si peu de voleurs professionnels) surgit en moi, comme une fontaine d’eau noire, et je me retrouve à mettre consciemment mon vélo devant l’entrée de ma tente plutôt que derrière pour me rassurer rapidement si d’aventures je doute.
Un gros lapin blanc, éloigné du troupeau, me guettait de visu. Estimant des maigres indices que lui laissait mon paquetage dépareillé, la probabilité que j’ai un couteau acéré avec moi, et oui ou non, enfin petit-dejeuné.
Je lui bêlais de se rassurer, plein de conviction, faisant varier l’ovinage voisin d’une cavernisation tirant sur le bovin. Mais rien, pas le moindre mouvement de tête. Et l’œil, globuleux comme toujours, globulait j’en suis sûr à distance respectueuse.
Il n’avait rien à craindre le poulet. Le matin, je turbinais au Nesquick, seul échec personnel à l’égard de Nestlé (qui s’approprie les sources d’eau potable des pays pauvres et leur revend dans de jolies bouteilles en plastique qu’ils intitulent, comme dans un mauvais scénario de science-fiction, « la vie ». D’autres entreprises font des choses vilaines, j’en conviens, mais j’ai décidé il y a plusieurs années de boycotter à mon échelle la totalité des produits Nestlé).
De l’eau tiède, du lait en poudre, et du Nesquick. Si ça n’a pas l’air ragoûtant dit comme ça, c’est en grande partie parce que ce n’est pas très ragoûtant. Mais en fermant les yeux et en ajoutant un peu de sucre, pas forcément dans cet ordre, on peut oublier le contact de l’aluminium et s’imaginer boire son chocolat chaud dans un grand bol jaune ébréché d’un côté. Un fond d’avoine me restait de la période de Noël, où je ne m’étais décidément vraiment privé de rien. Je l’y ajoutais, rassuré cette fois-ci de ne pas pouvoir le faire crâmer.
Le remballage prend du temps, moutons ou pas en spectateurs. Si le but est bien sûr de ne pas tout déballer tous les soirs, il y a quand même un certain nombre d’objets dont je me sers, et qui fait grimper, installation de tente comprise, le déballage et le remballage à 45 minutes pièce. L’harnachage est une autre question. Je me sens progresser chaque jour et l’on me verra bientôt à l’affiche du cirque d’hiver en sous-titre « Cap’taine Crochetto, le derviche tendeur ».
Au matin de ce deuxième jour, je rééquilibrai quelques bouteilles d’eau de l’arrière vers l’avant, bien décidé, si ce n’est de ne pouvoir alléger subitement le poids global du vélo, de limiter au moins le risque d’explosion du pneu arrière. L’épée semblait aiguisée et le fil bien mince.
Remonter sur la selle fut moins difficile que ce à quoi je m’attendais. Il y avait le cul, bien sûr, mais moins qu’espéré. Plus véhéments étaient les genoux, le droit en particulier, qui grinçait presque à chaque passage de relais.
Je me suis promené pendant une douzaine de kilomètres, quasi-seul encore, trois 4×4 rouges de l’ENAP, le ministère de l’extraction pétrolière et gazière au Chili, me croisèrent une première fois et me doublèrent une seconde. Ils avaient l’air sympathiques, au salut de la main facile, pas portés pour deux sous à me montrer qu’ils pouvaient aller plus vite que moi s’ils voulaient, et même disposés à ralentir pour ne pas m’envoyer des caillasses dans les tibias. Des bons gars quoi.
La route s’était rapprochée de la mer. Du détroit pour être exact. De Magellan qu’il était.
« Le détroit de Magellan ». Il y a des noms qui font rêver et celui-ci en faisait partie. Pour le moment, je ne voyais que des étangs aux bords plats, saturés de canards, de l’espèce qui va toujours par deux, un blanc et un marron, un mâle et une femelle, dont j’ai oublié le nom. De temps à autres, un croisement m’offrait la possibilité de prendre une autre petite route, passer une barrière, et arriver près d’un puits d’extraction, ces grands pompes noires qui semblent dam(n)er la Terre, flanquées de deux trois réservoirs blancs.
Ces possibilités, je ne les prenais pas. Je ne connaissais personne qui bossait à l’ENAP. On avait pas gardé les torchons ensemble à ce que je sache.
Et puis la route s’achève. Ils ont même mis un panneau pour prévenir les automobilistes distraits. « Attention, fin de la route ». Une pente douce de 30×30 mètres en béton mène à l’eau. D’un côté, quelques ouvriers rejouent l’internationale des gilets jaunes et discutent au lieu de bosser. De l’autre, point de bateau. J’en vois deux à fond plat qui pourraient être aisément lauréats du titre de bac, mais ils gîtent au débarcadère d’en face.
Le sujet de conversation des ouvriers me devient plus clair : « Ben tiens. Et voilà. Comme de par hasard. C’est toujours comme ça que ça se passe. Les mouettes, c’est pour notre gueule, ça on y a droit, mais dès qu’il y a un petit peu d’animation, c’est jamais à notre débarcadère. »
Et je les comprends. Ce doit être une danse amusante à voir, deux bacs qui tentent d’accoster au même endroit au même moment, qui avancent et reculent en rythme, et dont les capitaines, tous deux perchés dans leur cabine d’ivoire à vingt mètres au dessus de l’eau, s’engueulent comme des charretiers dans une ruelle de Lutèce.
J’ai le temps de m’arrêter au moins, analyser ce qui m’entoure, prendre un café et une empanada aux pommes.
« On peut la faire chauffer ? » demandais-je à la serveuse/patronne, un peu étourdie à son avantage quand il s’agit d’additionner des prix (on pourrait dire que c’est justement une question d’expérience).
« Ben non, ça se mange froid. Si on fait chauffer la pomme se ramollit ».
« Oui bien sûr » la complétai-je rapidement, évitant ainsi la naissance d’un nouveau conflit théologique.
Je décidai de lui laisser sa chance et d’entamer mon budget de 2€, mais sans surprise, le concept d’empanada aux pommes froide se rapproche dangereusement de notre chausson rassi. N’est pas explorateur de pantoufles qui veut.
Hormis la capitainerie et les toilettes/douches disponibles mais rencontrés trop tôt dans mon planning de sudation du jour, il n’y avait qu’un supermercado, et ce restaurant empoisonnant ses clients à coup d’empanadas aux pommes. Les Propriétaires du monopole restaumarché avaient cru bon s’inspirer de la réussite commerciale des Buffalo Grill en appelant leur affaire « Le Tehuelche ». Il n’y avait rien d’indien dans la face palote de la duègne, mais au mur, accroché à un clou, une paire de bolas traditionnelles dans leur coque de cordes, et trois photos du dernier cacique de la région.
Une photo du début du siècle (l’autre, l’important), le montrait dans ses pelures, attablé au milieu d’une dizaine de notables en tailleurs et moustaches bien anglaises. J’ai cru discerner sur le visage de quelques uns d’entre eux, dont la tête était à moitié de profil, comme s’ils se détournaient par lassitude de la photographie, dont le procédé récent et réservé aux classes aisées, surtout en cette région du monde, leur était, déjà, bien connu et source de lassitude. J’ai cru discerner sur le visage de ces quelques uns, un demi-sourire. Ce qu’ils y mettaient, impossible de le savoir. J’y place moi une gousse de suffisance, et les imagine mouvants, avant et après la photo, rire entre eux d’un bon mot en saxon sur l’indien Tehuelche.
Je m’installai à la table juste à côté de la photo, et commençai à compléter le récit de mon premier jour. Le premier bac est arrivé, je me suis dit que j’allais prendre le second. Et puis le second est parti avant que je ne m’en rende compte.
Quand le troisième, qui était en réalité le premier, est revenu, il était déjà 15 heures. J’ai replié bagages et me suis, sans difficulté, positionné en tête de file des voitures. Les passagers des bus qui descendaient à pied du bac me regardèrent avec des yeux ronds, comme ceux de la maman des poissons, et des petits sourires admiratifs. Ou en tout cas c’est, ce qu’une fois de plus, je mettais dans leurs sourires.
Lorsque le monsieur avec un talkie-walkie a donné le top départ, dans un geste très « Fast and Furious » mais assez dénué de sensualité, j’ai mis le pied sur la pédale et suis entré sur le bac quasi le premier, sous les quasi-applaudissements de la foule. Un marin très sympathique m’a dit de caler mon vélo dans un coin et m’a montré la cabine où il fallait payer.
L’officier qui s’y trouvait avait une barbe blanche courte, très entretenue et un regard sage de sénateur romain. Il m’a demandé mon véhicule, je lui ai demandé combien ça coûterait pour une bicyclette, m’attendant à payer autant que pour une moto. Mais de son air de sénateur, il se mit à réfléchir à ma question, comme s’il y voyait des enjeux algébriques particuliers, éthiques peut-être. Je profitai de ce moment de flottement pour lui dire en souriant « le moins possible ? ».
Soudain, l’éthique sembla prendre le pas sur l’algèbre. Deux secondes après ma supplique facétieuse, il remua de la main, geste universel pour signifier « C’est bon gamin, c’est pour moi, file vers ton destin, voici ma maigre contribution à ton bonheur ».
J’insistai, honnête, croyant qu’il ne parlait que de la bicyclette : Combien ça coûtait pour moi en tant que passager ?
J’avais les billets dans les mains, la main sur la gâchette, les yeux plissés par le soleil d’un désert imaginaire, j’étais prêt à dépenser au moment où la pièce trouée d’une balle toucherait le sol poussiéreux de l’avenue. Deuxième moulinet et mouvement de tête. Il n’y avait rien à faire, l’homme était allé trop loin dans la beauté du geste. On ne fait pas marche arrière si facilement lorsqu’on se conduit avec magnanimité. « Va, petit. Va, puisque je te le dis. » sembla-t-il m’intimer.
Je ressortai heureux.
Je me considère comme chanceux. Très chanceux. On ne pourra jamais dire « trop » chanceux, mais si on le dit un jour, on le dira pour moi.
Il y a de ces bonnes surprises en voyage. Des vraies surprises, que l’on ne suspecte pas une seconde. Dont l’éventualité n’est pas calculée, soupesée. Il ne s’agit pas d’issues très rares, mais possibles, à une situation particulière. Ce sont des déchirures dans la toile de l’envisagé qui vous déforment la gueule en banane. Des surprises gratuites qui vous mettent en joie pour la journée.
Je considère les bonnes surprises comme un facteur de bonheur essentiel. Comme des cadeaux, mais sans la déception à l’ouverture et la revente sur Amazon, c’est en s’offrant les uns les autres de bonnes surprises que l’on se rend la vie plus légère.
La traversée du détroit de Magellan est rapide. Il y a 5 kilomètres environ. Dans l’eau, pas le moindre dauphin. Les plages semblent être de sables gris, assez épais, un cousin du gravier à coup sûr. Il y a de petites falaises noires recouvertes de lande. Rien de majestueux. La terre s’est simplement laissée couler jusqu’à l’eau qui, difficile, en a croqué un bout et l’a recraché en petits galets gris.
De l’autre côté, je descends après les camions. A pied cette fois, car ça grimpe. Un groupe de piétons attend là, sûrement que le bus embarque. Ils me regardent avec le même air amusé et impressionné que des touristes qui débarquent, mais eux n’ont rien à faire. J’ai la pression maintenant, ils m’attendent au tournant. Il faut que j’ai l’air professionnel. Lorsque je monterai sur mon vélo, il ne faut pas que mon pied glisse sur la pédale, que je me vautre à l’arrêt comme un tocard. Quand il y a autant de public, faut assurer.
En même temps, leur curiosité m’étonne. Je pensais qu’il y avait pas mal de cyclistes qui passaient par là. Pas suffisamment il faut croire pour se faire voir du nombre de touristes, plus grand encore.
Dans le groupe, une petite vieille sort son téléphone et commence à me filmer. Je me sens comme le vainqueur du Tour de France à l’arrivée du grand débarcadère que sont les Champs-Élysées.
Je le leur dis.
Ils sourient.
En repartant, le vent me coupe les pattes. Je redescends de mes grands chevaux aussi sec. C’est mon paquetage qui a du les impressionner. Foutre un 38 tonnes sur deux pneus, il y a de quoi.
La route est un peu mouillée, ça bruine. Rien de désagréable mais je me couvre. Il est presque 16 heures et j’ai un peu plus de 40 kilomètres à faire avant d’arriver. Les allées et venues des deux bacs déversent sur la route une file de camions et de voitures à intervalles réguliers. Plusieurs fois, je m’arrête et attends que le troupeau passe. Les argentins conduisent vite. Pour un peu que l’on soit dans une côte, qu’un coup de vent m’écarte soudainement de ma trajectoire, qu’une voiture arrive en face, qu’un nuage se pousse et qu’un rayon de soleil éblouisse le conducteur, et pouf. Une conjonction, une coordination, et l’Orni si tôt trinque avec les roues du car.
Après quelques kilomètres, mes genoux me font mal. Les deux. Je pense sérieusement avoir trop compensé mon mal aux fesses par un changement de pression dans les jambes. Une articulation sur le côté, un nerf, un tendon, je ne sais quoi en réalité. Dès que je le plie ou l’étends, dès que le genou passe un angle particulier, dès qu’il tente d’exercer une certaine force sur la pédale, la douleur se déclenche. Paradoxalement, la seule chose qui me soulage et de m’appuyer davantage sur la selle, de compenser mes jambes en accentuant mon mal aux cul. Je suis pris entre Charybde et Scylla.
Heureusement, très vite la route tourne et un vent léger me pousse. C’est une journée calme. Chaque descente est une réjouissance. Chaque pente, un long pèlerinage. Ce ne sont que de longs faux-plats, mais mes genoux en accentuent drastiquement la pente.
Je progresse lentement mais sûrement, comptant les kilomètres, déduisant ma vitesse du temps passé et émettant des pronostics pour le reste du trajet. Je divise et compte, me départant difficilement de mon esprit de compétition et des télégrammes de performance qu’il m’envoie. 2 kilomètres passés, c’est à un moment 10 % de fait. Lorsqu’il ne m’en reste que 10, 500 mètres deviennent 5 %, et de pourcentages en pourcentages, rien ne s’ajoute, mais mon esprit se divertit, et je parviens à parvenir en étant, spirituellement, déjà arrivé à plusieurs reprises à telle heure et à telle moyenne.
Les premières images de la Terre de feu n’ont rien d’exceptionnelles. De la lande, encore, et des prés plats.
J’ai essayé de communiquer avec un groupe d’Alpacas, croisé sur la route. Enfin, eux étaient bien sagement prisonniers de leur enclos, tandis que les guanacos, ces satyres de demi-race, courent toujours et jumpent les barrières à la suédoise. Mes cours de langue sont loin à présent, mais je me souvenais de quelques interjections de la rue pas piquées des hannetons. Leur réaction a été placide, comme l’on peut s’y attendre avec ce type d’animal. Ils vendraient leur mère sans ciller des naseaux. Peut-être qu’ils étaient un peu trop loin également, ou que le vent n’a pas bien porté ce que je leur disais. Peut-être que l’alpaca du Chili ne parle pas comme ses confrères de Nouvelle-Zélande non plus. Je ne me suis pas attardé sur ma déception. Je venais déjà de m’arrêter pour tailler une bavette avec deux autostoppeurs, un français et un italien croisés sur le bac, je n’allais pas faire que ça.
Toute la beauté et la tragédie du vélo tiennent dans une seule phrase : « Il faut pédaler pour avancer ».
La mer est toute proche des estancias, et des puits d’extraction de gaz sur cette terre qui fermente. Le sol paraît tourbeux, et j’arrive au soir à Cerro Sombrero, une petite ville ruche d’où partent la majorité des pick-up rouges de l’ENAP, qui butinent un puits puis l’autre et me doublent et me croisent. Les dix derniers kilomètres furent interminables. J’arrive les genoux suppliciés, et monte la côte qui mène au village à pied, l’honneur écharpé en bandoulière comme une chambre à air crevée.
Mais arriver est un bonheur renouvelé chaque jour. A Cerro Sombrero (« Mont Chapeau) j’ai eu le plaisir de trouver auprès de l’office de tourisme une douche publique bien chaude et un coin d’herbe où planter ma tente. Un couple de germains en voiture/tente Wicked (Ces camping-cars ou voitures sur le toit desquelles on peut déplier une tente sont loués très chers sous prétexte qu’ils sont cools) étaient déjà là.
Leur présence était rassurante, je n’aime encore pas bien camper dans les villes. Comme dans la lande, il n’y a pas de voleurs, mais il suffit d’un opportuniste pour que le vélo disparaisse et que je me retrouve comme deux ronds de flan (un rond de flan averti en vaut deux, un pour chaque flanc).
Hormis les bonjours de rigueur, et leur demander la permission de me mettre à côté d’eux, je ne suis pas allé leur parler, et eux non plus. Ce n’est pas qu’ils ne m’intéressaient pas (bien qu’en vérité je ne suis pas sûr qu’ils m’auraient intéressés), mais j’avais encore soif de solitude. J’étais déjà plein de rencontres. Non pas plein à craquer. Je crois qu’on ne peut pas l’être vraiment. Mais dans l’objet de vouloir sauvegarder le récit de ces rencontres par écrit, plein d’une envie supérieure d’écrire et de m’isoler que de sociabiliser de nouveau. Je me demande pour combien de temps ça durera.
Je ne suis pas rigoriste, je crois que l’équilibre entre faire des rencontres et préserver leur mémoire reviendra de lui-même.
Alors que je m’installais, suivant ce qui constituait après déjà deux jours une routine nocturne. Je me préparai un petit maté, le sirotai en mangeant des petites galettes et pensai à ce que la vie dans sa grande magnanimité avait choisi de m’apprendre aujourd’hui.
Après le coucher du soleil, la pluie commença à tomber. Il faisait jusque là un temps magnifique. Sans le moindre vent. Ce qui est rare dans cette région. Naïvement, j’avais installé ma tente à découvert.
Au moment de me préparer à manger, la casserole d’eau sur le réchaud, les pieds dans les chaussettes, l’estomac dans les talons, bien au chaud mais un peu vide sous les chaussettes, le vent se leva. En un instant, ma tente se mit à subir des rafales de pluie qui faisaient gîter ma lampe accrochée au plafond comme dans un mauvais film d’horreur, et très vite, la toile de la tente en rejoignit quasiment le centre. Le terrain en mélange terre-pierre ne m’avait pas permis d’enfoncer les sardines bien profondément. Il était 23 heures, il fallait que je prenne une décision, et vite.
Sortir était désagréable, mais si je ne faisais rien, le vent pouvait tout aussi bien briser ma tente en deux, emporter la cape de pluie, et foutre un beau bordel à l’intérieur, avec moi dedans.
Il n’y avait bien plus que la magnanimité du sénateur qui sauvait cette journée.
Alors je me suis décidé. Je suis sorti pied nu sur l’herbe, un moment où la pluie hésitait à tomber. Je ne m’étais pas changé et portais toujours ma tenue de vélo, un short et un t-shirt. J’ai rapidement sorti les choses les plus lourdes de la tente et commencé à enlever les sardines. La cape claquait au vent. La sécurisant d’un bras et empoignant le reste de la tente de l’autre, je pensais la traîner tant bien que mal jusqu’au deck de bois, en partie abrité du vent et de la pluie, derrière le bâtiment des douches. La tente formait comme un sac à l’intérieur duquel restaient les choses « légères » que je n’avais pas pris le temps de sortir. A la première levée, une rafale brisa un des arceau en fibre de verre. Une réussite.
L’arceau tenait toujours, il n’était pas complètement sectionné, mais formait un rebond malvenu qui rendant l’installation de la cape difficile. Je positionnai au mieux la tente sur le deck en fonction du vent et bataillai pendant une demi-heure à courir dans l’herbe pour attraper mes affaires et les mettre à l’abri. Je récupérai dans les environs les plus grosses pierres possibles mais n’en trouvai que des moyennes, des médiocres, des qui ne volent pas au vent mais ont toutes les peines du monde à plaquer quoique ce soit d’autre au sol. Les cordes de sûreté ne les agrippait pas. Le mur formait un point mort où la tente n’était pas tenue. L’ensemble était précaire, j’étais exténué.
Quand enfin je re-rentrai dans ma tente, frigorifié et trempé, plus décidé que jamais à manger quelque chose de chaud, mon briquet s’était soudainement transformé en absorbeur d’humidité. J’entendis la portière des allemands claquer et ressorti rapidement, leur montrant mon air le plus misérable que j’avais en stock.
Par chance, ils repartaient demain prendre l’avion et m’ont ainsi donné un paquet d’allumettes et un briquet. Le lendemain, séché, le mien remarchait.
J’avais fait 54 kilomètres, et j’étais sur les rotules. Mes pensées de la veille me revenaient en mémoire.
« ça allait être plus facile que prévu en fait Beaucoup plus facile que prévu. »
Ushuaia était encore à 500 kilomètres et quelques, mais je remettais cette question au lendemain.
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