Du vent dans les pantoufles
A bicyclette (1) – Rio Gallegos/Quelque part
12 Jan 2018

A bicyclette (1) – Rio Gallegos/Quelque part

Post by Emile

Jour 1 – Rio Gallegos/ Quelque part entre Punta Delgada et le Bac vers la Terre de Feu

 

 

Mercredi 10 janvier, le réveil à 9h est plus difficile que prévu. L’enregistrement de mon testament vidéo la nuit passée m’a également emmené plus tard que prévu. Les angoisses morbides de Rafael, et dans une moindre mesure de Lucia, qui m’accueillent, seulement 7 mois après avoir perdu leur fille dans un accident de vélo (ou de camion, au choix) semblent avoir déteint sur moi.

Mais une heure après la sonnerie de l’inépuisable « bord de mer », je dois me rendre à l’évidence face au tas de sacoches posées au pied du vélo : Il n’existe aucun univers dont les lois de la physique permettraient de les attacher de façon durable sur le vélo.

Ce qui n’est absolument pas ce qui était prévu.

Déjà que je ne suis pas porté sur les adieux, je trouve cette matinée définitivement rebutante.

A 10h30, la magie des tendeurs opère. Tout est attaché au reste, à soi et à ce qui peut simultanément tenir et être tenu d’une manière ou d’une autre. Je me retrouve soudainement possesseur d’une baraque à frite sans fourneau ni graillon, et renifle avec componction le nuage de doutes qui n’ose pas sortir de ma bouche sous forme de mots. L’ombre du sommet qui s’élève désormais à l’arrière de mon Panzer colle un rhume au caniche des voisins. Et je ne parle que de la face nord.

Ce qui m’inquiète, ce n’est pas de ne pas être capable de soulever la partie arrière du vélo, mais de voir le pneu s’écraser comme une balle de tennis sur une raquette filmée au ralenti, allongée, caoutchouté et gelée dans cet état, alors que je me situe toujours à côté du vélo.

Je m’étais préparé à partir quelques soient les conditions. Tel un spartiate zen, serein avec la mort car heureux de vivre comme je l’entendais. Mais exploser un pneu après 10 km à cause de quelques t-shirts en trop et d’une appréciation assez surévaluée de mon indépendance nutritionnelle pour les 3 prochaines semaines, ça non. Ce n’était définitivement pas ce qui était prévu.

Selfies de rigueur. Posture et sourire victorieux aux côtés de la bécane malgré l’angoisse froide et visqueuse tout juste née au fond de mon estomac. J’embrassais Lucia en la remerciant encore infiniment, incapable de prononcer quoique ce soit d’autre de circonstance, d’un peu épique, susceptible de relever ces adieux au niveau qu’ils méritaient.

A 10h40, je passai la petite barrière, m’engageai, chancelant et incertain, dans la rue qui la borde, un œil sur la route, un autre sur le guidon (il tremble?), et les deux autres sur les sacs et le pneu arrière qui laissait une empreinte sur l’asphalte mais ne craquait pas encore. Je donnai les premiers coups de pédale, zigzaguant dangereusement (pour moi-même) dans la ruelle déserte, et, reprenant le contrôle, me dirigeai vers l’avenue, où je devais tourner, et commencer mon périple. D’ici. De Rio Gallegos. A la pointe sud-est de l’Argentine, Terre de feu exclue.

La route n’était pas totalement lisse. Chaque nid de poule, même minuscule, m’apparaissait, en regard du pneu, comme un piège préparé de longue date par les artisans des revers du destin.

Je roulais prudemment, et d’autant plus lentement que mon vaisseau de l’espace éprouvait quelques difficultés à se mouvoir dans ce dernier.

J’avais l’impression de n’être qu’inertie en perdition. Ou un trou noir à la rigueur. Il n’y avait pas, à ma connaissance, d’objet créé par l’homme plus pesant que ce vélo. J’aurais pu emboutir un porte-avion et me retrouver en tort au moment du constat. Gros Clamart en perspective.

Pourtant, nouveau trou noir constitué, la gravité faisait son œuvre et le monde recommença à tourner agréablement autour de moi. J’étais libre. Le pneu avant compensait je ne sais comment la semelle arrière, et mes jambes, réaffûtées par les randonnées de Noël, répondaient présentes. J’étais libre et j’avançais. Je roulais sur mon vélo. Pas rapidement, pas comme les motards, les voitures ou les camions qui me dépassent en klaxonnant. Comme si j’allais enlever le haut pour si peu. J’ai une éducation tout de même. Pas très rapidement mais sûrement. Je roulais sur mon vélo, et j’emportais avec moi toutes mes petites affaires. Ma petite maison. Mon indépendance. Ma liberté. Et c’est comme si je la nourrissais à chaque coup de pédale. Comme un feutre que l’on fait glisser sur une feuille blanche, comme un balai qui pousse de plus en plus de poussière devant lui au fur et à mesure qu’il avance, ma liberté grossissait de mètre en mètre, reprenait du poil de la bête, s’ébouriffait d’une solitude choisie en voie d’être retrouvée et hennissait si fort que j’en souriais.

Il faisait un temps magnifique. Un ciel bleu couvert de quelques nuages, et un vent de dos me portaient loin de la grisaille de Rio Gallegos dans les plaines volcaniques de la frontière chilienne. Je dépassais la dernière station de réservoirs pétroliers et j’y étais. 50 kilomètres et quelques plus loin, la frontière, et derrière, l’objectif ambitieux du jour, celui qui me trottait dans un coin de la tête et qui entrait en complète contradiction avec ce que je m’étais promis, de commencer doucement : Le bac.

La traversée du détroit de Magellan pour rejoindre la Tierra del Fuego, à une grosse vingtaine de kilomètres derrière la frontière, au plus. Une première journée d’environ 90 km en somme.

J’avais les jambes, le vent de dos, je progressais plus rapidement que ce que je pensais. Ce ne serait pas si compliqué.

Super spot pour une pause sandwich. C’est au kilomètre 2658 de la route 3

La route est une double voie simple. Une voie dans un sens, l’autre dans l’autre. Les camions roulent à 100, les voitures à 150. Il n’y a pas grand monde, mais quand ils passent, une générosité naturelle les poussent à optimiser l’aspiration que je pourrais tirer de leur passage. Je me suis rangé quelques fois. Les centaines d’avertissement assénés chaque jour par la tristesse de Rafael n’ont pas tous pris graine, mais j’étais loin de les oublier.

Les grandes lignes droites et la géographie on ne peut plus plane des environs offre un terrain favorable aux mirages. La chaleur et la fatigue aidant, la route semble disparaître au bout de quelques kilomètres et se fondre au ciel. Des voitures volantes apparaissent de temps à autre et viennent se poser à mesure qu’elles approchent, présentant à mes yeux et à mes oreilles tous les atours de la réalité. Au loin, l’horizon flageole au vent comme la nappe d’une table d’été, où l’on prend une limonade avant de convier tout le monde à admirer les bégonias. La chaleur frappe les plaines par vagues et rend, moitié tornade, moitié séisme, les montagnes inconstantes.

C’est étonnant de voir comme les camions s’astreignent à respecter cette terre de mirage, et apparaissent toujours par deux, l’un derrière, l’autre devant. Leur point de croisement n’est évidemment autre que la portion de route où je me trouve, et l’on m’a klaxonné, cette fois-ci sans désir, sans respect, dans l’urgence, pour que je me décale sur les graviers avant que l’on ne m’y boute de force de manière bien cavalière.

La limonade est également très présente sur les bas côtés, des fossés d’environ dix mètres de large, qui, de chaque côté, séparent la route des clôtures qui la longent. Les bouteilles, plus ou moins remplies, décorent, à raison d’une tous les cinquante mètres, ce paysage bien morne.

Je pensais avoir le temps d’écrire dans ma tête, mais la majeure partie de mon temps, je la passe concentré sur mon effort, sur la route et ses voitures, ou à tenter de trouver une portion de fesse que je n’aurais pas encore exploitée et qui m’offrirait un sursis contre la douleur.

Je savais que j’allais avoir mal au cul. J’ai le malheur, dans le cas du vélo, d’avoir deux boules de muscle et de nerf en guise de fesses, plus dépourvues de gras qu’un mouton patagonique (car ils sont rachitiques). Il me manque tout ce qu’il faut. Je m’assois sur mes os.

Don Rafael m’a rajouté une couche de mousse sur ma selle. A l’ancienne, il a enferré le tout avec de la ficelle. C’est un travail de « mec que l’on a colonisé et qui est venu travailler chez nous parce qu’on lui a dit qu’il faisait partie de la patrie mais qu’on s’efforce tout de même de garder à distance par des expressions discriminatoires », mais « ça fait l’taff Fallstaff » comme disait Shakespeare.

Après m’être répété deux mille fois que j’avais mal au cul, j’ai profité d’une pause sandwich et d’un regard d’aventurier mélancolique porté sur le lointain pour me dire que je faisais actuellement exactement ce que je voulais, que j’étais heureux et que rien, si ce n’est un camion ou un pneu qui explose, voire les deux au mauvais moment, n’allait m’empêcher de faire ce voyage, et que ça ne m’avançait à rien de me répéter que j’avais mal au cul.

J’étais assez fier de cette prise de conscience. J’ai fini mon sandwich, je suis remonté sur le vélo. Devant moi, la route était infinie. Derrière moi, elle paraissait moins immense car je venais justement de par là (comme l’immensité nous paraît rétrécie une fois que nous l’avons parcourue). Il n’y avait personne à l’horizon, mais après quelques coups de pédale on aurait pu m’entendre dire : « J’ai quand même très mal au cul ».

Toute la difficulté pour m’arrêter déjeuner a été de trouver un panneau suffisamment gros pour supporter le vélo. Je pensais m’arrêter à 20 km avant la frontière, et ai du attendre 4 kilomètres de plus avant de trouver de quoi poser ma cabane. Ma folie des grandeurs avait encore frappé. Dans mon sac, 1 kilo de sandwich m’attendait.

Le Guanaco utilise la même technique que l’autruche lorsqu’il a peur que le vent l’emporte

A gauche de la route, il n’y avait que des moutons et des guanacos, qui broutaient, un peu stupides, et fuyaient sur mon passage avec de longues secondes de latence. Du côté droit de la route, des émeus picoraient je ne sais quoi, puisqu’ils ne broutent pas, et protégeaient leur petits de la rage photographique des cyclistes en s’éloignant à distance suffisante.

Jusqu’à la frontière, le voyage fut paisible. Je m’interdisais de dépasser un certain seuil d’effort, et si je ne parvenais pas à maîtriser l’agonie de mes arpions, je faisais en sorte de m’économiser les jambes. J’étais sous le charme absolu de mon voyage. Le vent de dos adoucissait ce qui aurait pu être mordant, et une véritable félicité m’envahissait lorsque je prenais de la vitesse dans les descentes. Ce voyage à vélo m’apparaissait plus facile que prévu. Piqué de douleurs, certes, mais de douleurs tolérables, et surtout contrôlables. Je pouvais avancer vite si le paysage n’avait rien à m’offrir. A mon impression première de liberté s’ajoutait un sentiment de puissance, ou sans exagérer, de maîtrise. Je reprenais contrôle sur les avertissements que l’on m’avait proférés. Ça allait être long, oui, c’était l’objectif de toute façon, mais ça n’allait pas être si dur que ça. Le peu d’inquiétudes que j’avais formées s’envolaient.

Régulièrement, je m’arrêtais faire pipi. Non pas par faiblesse de vessie ou pure volonté de marquer mon territoire, mais pour surveiller mon niveau de déshydratation. Il manque toujours quelques petits flacons pour mener des analyses plus poussées, mais on obtient au jus-jet une idée plutôt correcte. Et puis c’est important de voyager léger.

J’ai en tête la voix de mon père qui me rappelle que pour éviter d’être déshydraté il faut boire avant d’avoir soif. Bien évidemment je ne bois que quand j’ai soif. C’est une technique en décalé. On ne boit pour la deuxième soif qu’à partir de la première soif. Ainsi, toutes les soifs suivantes sont hydratées au moment des soifs précédentes. Et plus on a soif, plus le taux de réussite est élevé (il est d’environ 90 % au bout de 10 soifs). C’est donc une technique à utiliser sur le long terme. Pour ceux qui ont une certaine défiance à l’égard de tout ce qui est théorique (« La Patrie aux grands hommes reconnaissante ») il est toujours possible de la combiner avec des contrôles de visu. Moi je fais les deux et j’en suis très satisfait.

J’arrivai à la frontière vers 15h30, passai les formalités et me dirigeai vers le contrôle des bagages. Le passage de frontière Argentine-Chili est assez stricte. Dans les deux sens, tout fruit, légume, fromage, viande, ou autre produit d’origine animale (par exemple le pollen d’abeille), est instantanément exterminé par le regard laser des robots douaniers XC-907. J’ai dans la lanière de mon sac des graines de lotus que je trimballe depuis le Cambodge, il y 4 ans, si mes souvenirs sont bons. Je les oublie périodiquement et m’en souviens au moment des passages de frontière. Si tout se passe bien, elles restent où elles sont et leur existence sombre à nouveau dans l’oubli. Si tout se passe mal…le souvenir d’un voyage à Naples, où les douaniers d’Orly ont procédé à la destruction d’un petit canif corse qui m’avait été offert par ma sœur et qui s’était perdu dans les tréfonds de mon sac, refait surface et brûle comme une mauvaise cicatrice de vacher.

Heureusement pour moi, les dieux orientaux semblent avoir opté pour une stratégie marketing plus agressive à l’internationale que les dieux corses (concentrés sur le plomb et le saucisson de sanglier au fromage et aux figues). Tous les douaniers-robots étaient occupés à se siroter un maté ionisé, et je suis tombé sur la seule humaine du lot. Elle m’a regardé d’un œil torve sortir ma ceinture de sous où je dissimule aussi mon pollen, et, un œil sur le scanner, un œil sur son téléphone (il n’y a qu’à ce moment là qu’elle doit être libérée de tous les regards), elle m’a interrogé sur ma flûte en bambou ramenée d’Amazonie, dont je ne me sers, au risque de vous décevoir, quasiment jamais, et sur ma hachette multifonction ramenée de Tandil, où le vendeur s’était véritablement bien démerdé pour me faire croire que j’en aurai forcément besoin un jour (Mais si. Ça-peut-servir.)

Je suis ressorti de l’inspection générale vers 16h30, éprouvant déjà une certaine lassitude à l’idée d’attacher et de détacher ma cargaison chaque jour que la révolution de la Terre fait.

Mais j’étais au Chili ! Dans la république du Chili même ! C’est ce que le panneau vert annonçait fièrement. Et puis, un peu plus loin, un autre panneau, annonça les distances :

Terre de Feu – 55 kilomètres.

Au début je n’ai pas bien compris. Ils devaient passer par une autre route. Le bac pour traverser le détroit de Magellan ne pouvait pas être si loin. Sur la carte, je me souviens bien, sur la carte, j’avais regardé pourtant, ce n’était pas si loin, il y avait 20 bornes, 30 à tout casser.

55 kilomètres … vraiment ?

Je venais de passer d’un objectif difficile d’environ 90 kilomètres à un objectif très difficile d’environ 120.

Clôturer l’horizon

Les premiers kilomètres chiliens sont pourtant agréables en ce sens. De longues descentes portées par le vent. Des guanaco hésitent souvent à traverser la route et se poursuivent en punition d’avoir tenté ou non. Ils ont un cri beaucoup plus aigu que les alpacas. Les « ZbleuZbleu » guturaux habituels ne servent ainsi à rien.

La route passe au milieu d’un paysage de lande aux doux vallons. En ligne de mire, le détroit.

Je me dis que je m’arrêterai pour la nuit à Punta Delgada à une trentaine de kilomètres de la frontière. Mon esprit de compétition me tance, alors je le rabroue sans explications. J’en ai déjà fait beaucoup. Je suis au mieux en train de me fatiguer pour rien, au pire, en train de me blesser.

Mes jambes et mes avant-bras sont rouges de soleil et je commence à en avoir marre. Ce n’est pas le but.

Après les dix kilomètres de montées-descentes relativement rapides, la route qui allait jusque là plein sud s’incline de plus en plus vers l’ouest, insensible au vent qui s’incline lui de plus en plus vers l’est. En moins de temps qu’il n’en faut pour dire « Aïe », j’aperçois mon prétendu « seuil de douleur en contrôle » tomber sous ma roue arrière et, conséquence de tout ce qui subit le même sort, s’encastrer pour toujours dans les fondations romaines recouvertes par la route.

J’ai vraiment mal cette fois-ci, et j’ai beau dégommer les vitesses une à une comme des boites de conserve au possum, je demeure collé à la route. Le vent de face n’est pas si puissant, mais il me balaye de tout son long. J’avance par intermittence, lorsqu’un coup de pédale s’intercale in extremis entre deux rafales.

Plus la moindre impression de facilité, de maîtrise, je suis dans le dur alors que je me bagarre contre du pipi de chat pour les standards de la région. Devant moi, plus aucun mirage, plus aucun camion. Je suis la seule présence humaine à des kilomètres.

Alors je m’arrête me dégourdir les jambes, manger un sandwich que je n’avais pas fini (il y a une grande tolérance douanière sur les sandwich) et remonte en selle comme on rallume un téléphone mal chargé.

En arrivant à Punta Delgada, deux autostoppeurs me regardent avec pitié. Un restaurant fait l’angle au carrefour qui mène à la ville. Il semble osciller entre l’abandon et l’usage depuis trop d’années. Une pancarte, incertaine, affiche pourtant qu’il est ouvert. Derrière lui, à un kilomètre, la ville, ses toits rouges et verts, ses lumières. J’y trouverai sûrement un coin où dormir, une connexion internet, une douche chaude. Je m’arrête au carrefour et regarde la carte, hésitant.

Brise-paille

Il y a un peu plus loin une route de ripio, de gravier, qui forme une diagonale sinueuse vers le bac. Je ne sais pas exactement ce qui me pousse à m’y engager. Je suis exténué et la perspective de pédaler encore plus d’une heure pour rejoindre effectivement le bac est absurde. Pourtant, mon intuition m’exhorte à fuir la ville, à ne pas rechercher de compagnie ce soir, à ne pas provoquer ma chance et faire une bonne rencontre. Elle m’exhorte à m’enfoncer davantage encore dans la solitude, à quitter la grande route, à tenter la caillasse malgré mon pneu incertain, et me trouver au milieu des moutons, un endroit où planter ma tente et consommer une partie de l’épicerie que j’ai bourré dans mes sacoches. Je ne sais pas ce qui m’a poussé à suivre cette intuition. Peut-être le fait rare de reconnaître avant le dénouement, que c’était effectivement une intuition.

Après tout, j’étais parfaitement indépendant, et s’il ne me manquait qu’un couteau acéré pour me farcir un mouton, je pouvais aussi bien les regarder passer sans animosité. Le monde n’en était pas plus laid.

Ces landes sont peu nutritives mais belles. Les touffes d’herbes ont à leur base une partie morte gris bleue, sorte de racine photographique des nuages plus haut. Je me suis arrêté après une dizaine de kilomètres, heureux d’ôter mon casque enfin, d’être seul sur ce chemin, de rouler au pas en retrouvant le vent de dos. Une plateforme bétonnée aura attiré mon attention. Les moutons et les lièvres s’étaient déjà fait la malle. Au centre du terrassement, un trou rectangulaire d’un mètre et quelques de profondeur. Une volée de marches permettait d’y descendre. Au fond, un squelette de mouton.

Autour de la plateforme, de nombreuses pièces de métal rouillé semblaient trahir l’industrie qui y prenait place. Une fabrique de métal rouillé à tous les coups.

L’industrie pétrolifère, très développée dans ce coin esseulé, devait en être la principale cliente. Ses panneaux, ses barrières et ses pipelines présentaient les mêmes signes d’effritement.

Une petite bruine m’incita à interrompre mes étirements salvateurs. Il fallait monter la tente.

Le soir, je dégustais de somptueuses pâtes cuites dans une soupe instantanée à la citrouille, et écrivais tout mon saoul en bénissant l’inventeur du sel.

J’avais fait 106 kilomètres, et j’avais mal au cul.

Un peu avant 23 heures

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